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Analyse - Inégalités et violences de genre
Mai 2023 | Par Elisa Thomas rencontrée par Xavier Briké

Affronter les violences conjugales et ensuite ? L’accueil et la transition proposés au sein d’une Maison Maternelle

Cet article est basé sur une étude anthropologique de trois mois réalisés dans une Maison Maternelle de Belgique. Cette dernière accueille durant généralement plusieurs mois des mères en situation de violences conjugales et leurs enfants. La monographie née de ce terrain met en récit les données récoltées auprès de onze mamans et l’équipe éducative (principalement une assistante sociale, une puéricultrice et des éducatrices).

©Thai Noipho / Vecteezy

Violences plurielles

Les termes de violences physiques et psychologiques ne semblent pas suffisants pour décrire les situations de violences conjugales. La notion de violences plurielles1 (Dequiré, 2019) est préférable au vu de la multitude de violences diverses et spécifiques que ces femmes de la Maison Maternelle ont affronté : insultes, humiliations, silences, manipulations, menaces, cris et coups. La notion même de violences conjugales doit être nécessairement mise au pluriel. La laisser au singulier induit un certain « modèle-type » de cette violence et ne reflète absolument pas sa multiformité et ses complexités. Si le climat d’imprévisibilité et de peur est commun à toutes ces femmes, les effets néfastes de ces situations sont également à mettre au pluriel tant ils peuvent différer : détérioration de l’estime de soi, solitude, doutes, peur, résignation ou encore extrême fatigue. Certaines décrivent ce moment de leur vie comme « une prison », « un trou », ou même « un enfer ». Selon l’assistante sociale de la Maison Maternelle, ces effets mènent ces femmes à se découdre d’elles-mêmes, de leur identité et de leur subjectivité. Elles s’oublient et se résignent peu à peu au contrôle de leur conjoint jusqu’à s’oublier elles-mêmes, jusqu’à en oublier leur capacité d’agir et de penser. L’auteure Pascale Jamoulle (2021) parle dans ce sens de dépossession de soi, de renoncer à sa liberté d’être humain ou encore de subjectivité comateuse pour définir cet oubli de sa propre personne. Elles deviennent alors étrangères à elles-mêmes (Salmona, 2017).

L’assistante sociale voit ces femmes comme « décousues » et « déstructurées ». Néanmoins, qu’en est-il des femmes accueillies ? Comment envisagent-elles leur état personnel, psychique et identitaire ? Un élément de réponse réside dans les paroles de Gwenaëlle, une maman d’origine belge qui se dit « perdue », « dépaysée ». Ainsi, une question réside : quelle différence existe-t-il entre ces termes qui semblent désigner le même état. Quel sens accordent-elles respectivement à ces mots soigneusement choisis ?

 

Le soutien de l’équipe éducative

L’accompagnement proposé par l’équipe se base sur trois principes fondamentaux : l’autonomisation, la confiance et enfin, la collaboration. Sur base de ceux-ci, les professionnelles proposent aux mamans diverses activités et ateliers centrés autour de la revalorisation personnelle, du bien-être, des émotions et des violences conjugales (des activités et ateliers plus adaptés sont également proposés aux enfants, leur bien-être étant également une grande priorité au sein de la Maison). Si les ateliers de bien-être et de revalorisation ont généralement du succès, ceux axés sur les violences conjugales font moins l’unanimité. Beaucoup ne veulent pas y participer en raison du malaise ressenti à s’exprimer sur ces situations intimes. Au regard des professionnelles, il s’agit là d’une volonté de ne pas collaborer et cela influence inévitablement la relation entre ces dernières et les femmes accueillies (et donc le travail personnel et thérapeutique également). Ainsi, une question cruciale se pose ici : Pourquoi replonger régulièrement ces femmes dans ce traumatisme alors que l’accompagnement promu tente de les tourner vers l’avenir ? L’idée de libérer la parole et d’analyser les traumatismes pour mieux les guérir est construite socialement, culturellement et dans ce cas, institutionnellement. Beaucoup n’ont pas envie d’aborder les violences qu’elles ont affrontées. Ce qui est vu comme de la non-collaboration d’une part est vu d’autre part comme l’écoute de ses propres envies et besoins.

 

L’idée de la « bonne mère »

©Thanakorn Phanthura / Vecteezy

Sur base de leur légitimité professionnelle, les membres de l’équipe éducative estiment souvent avoir la « bonne méthode » concernant le rôle de mère. Bien qu’elles accordent beaucoup d’importance à laisser le dernier mot aux mamans, le poids de cette légitimité professionnelle est indéniable. Dès lors, il est essentiel de questionner les conseils prodigués par l’équipe en ce qui concerne les rôles, places et identités de femmes et de mère. Ils sont issus d’un certain mode de penser et d’envisager le monde, issus de notre société occidentale et de cette institution qui en fait partie. La puéricultrice belge par exemple, estime qu’il est nécessaire de stimuler son bébé en utilisant le jeu et le langage verbal. Une maman qui ne prête guère attention à cette stimulation sera donc vue comme une mauvaise mère et comme une femme qui refuse de collaborer. Pourtant, dans la culture africaine, cette stimulation semble passer par d’autres aspects tels que le toucher, le mouvement, les sons et les rythmes2. C’est à travers le corps et le mouvement de la maman que se joue cette stimulation ; les mamans d’origine congolaise accueillies au Centre portaient d’ailleurs très souvent leur bébé dans les bras ou dans une écharpe prévue à cet effet.

Les conseils et indications des membres de l’équipe peuvent être perçus par les mamans comme une discréditation de leurs choix. Ces dernières peuvent alors entrer en conflit avec l’équipe ou douter de leur capacité d’être une « bonne mère »3. Selon leur origine et vécu, les mamans auront une conception très différente de cette idée ; de même, l’éducatrice ou l’assistante sociale la conçoivent à partir de leur formation professionnelle et expériences personnelles. Ainsi, cette idée mériterait d’être davantage questionnée afin de conserver le respect des principes d’écoute, de confiance et d’inclusion si précieux aux yeux de l’équipe.

 

La transition comme conclusion

La Maison propose un cocon familial de calme et de sécurité. Un endroit où ces femmes peuvent se reposer et se ressourcer. Les diverses actions de l’équipe éducative s’inscrivent également dans cette optique. Au travers des différentes activités et recommandations, l’équipe cherche à fournir aux mamans diverses techniques et pratiques pouvant être mobilisées après leur départ. Si elles se retrouvent face à un problème déjà rencontré, elles auront déjà des « outils » pour tenter de le régler. Ainsi, elles peuvent agir par elles-mêmes et progressivement retrouver confiance en elles. Par-là, elles entament le processus de repossession de soi, le raccommodage de leur être décousu. Ce passage dans cette Maison Maternelle est finalement une transition qui permet un ré-ancrage progressif de ces femmes dans leur propre identité et personnalité.

©Srinrat Wattichaikitchuroen / Vecteezy

 

Bibliographie 

Dequiré, A-F. (2019). Editorial. Violences plurielles. Pensée plurielle, 50(2), 7-10. Retrieved from https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2019-2-page-7.htm

Jamoulle, P. (2021). Je n’existais plus : Les mondes de l'emprise et de la déprise. Paris : La Découverte.

Salmona, M. (2017). L’impact psychotraumatique des violences conjugales sur les victimes. In E. Ronai & E. Durand (dirs.), Violences conjugales : Le droit d’être protégée (1-18). Malakoff : Dunod. Retrieved from https://www.cairn.info/ violences-conjugales-- 9782100769575-page-1.htm

 

 

1https://www.cairn.info/revue-pensee-plurielle-2019-2-page-21.htm

2https://www.cairn.info/revue-journal-de-la-psychanalyse-de-l-enfant-2016-2-page-131.htm#s1n5

3https://www.cairn.info/la-maternite-a-l-epreuve-du-genre--9782810900893-page-83.htm