Analyse - Inégalités et violences de genre
Juin 2022 | Xavier Briké
Les violences genrées dans l’accès à la mobilité
En quelques dizaines d’années et à l’échelle de la planète, les motivations et les profils des personnes exilées ont évolué. Mais les manuels d’histoire, de sciences sociales, ont longtemps assimilé la personne migrante à un homme : jeune adulte travailleur ou fuyant la dictature, alors que les femmes ont toujours concouru activement aux mouvements migratoires, que ce soit au travers des politiques de regroupement familial, dans le cadre de migrations de travail, ou encore parmi les populations déplacées aux quatre coins de la planète.
Selon les sources des Nations unies, dans les années 1960, les femmes représentaient déjà – à l’échelle du monde – plus de 45 % de la population des personnes migrantes (Morokvasic, 2015 : 6). Aujourd’hui, sur les chemins d’exil, elles sont majoritaires. La méconnaissance de leurs parcours demeure inconcevable tant l’histoire – et dès lors l’imaginaire collectif – les a partiellement oubliées (Briké, Mazocchetti, 2021 : 89).
Dans certaines régions, comme en Amérique latine, la mobilité des femmes demeure d’ailleurs nettement supérieure à celle des hommes. Mais les « migrantes et leurs descendantes », restent encore « trop souvent perçues » comme « passives et victimes » (Miranda et al., 2011 : 5). Pourtant, s’intéresser à leurs parcours permet de postuler – à partir de leurs expériences –, de leurs rôles actifs et agissant dans les déplacements familiaux ou conjugaux. Jeunes filles, adolescentes, mères ou femmes âgées, se retrouvent sur les routes de l’exil avec comme projet d’améliorer leurs propres conditions de vie, et bien plus souvent, celles de leurs familles. En effet, « la décision de migrer n’est que rarement le fruit d’un choix individuel, sa mise en acte reste étroitement liée au cycle de la vie familiale » (Nauck, Settles, 2001 : 462). Les témoignages exposés dans ce chapitre relatent « de l’intérieur » les vécus insolites de l’exil de ces femmes issues de plusieurs continents et surtout de leurs capacités à mobiliser des ressources dans un contexte fait aussi de « discriminations et de violence » (Morgan Smith, 2016 : 9). Pour nombre d’entre elles, « la modernité transnationalisée » (Laurent, 2012 : 19), l’accès à une scolarité de qualité, aux soins de santé, aux biens de consommation et aux formes de perspectives individuelles dans les pays d’accueil, sont pratiquement inatteignables, même pour les plus qualifiées. Leur « incapacité concrète de réussite socio-économique » (Mazzocchetti, 2012 : 19), qu’elles traduisent bien souvent en mort sociale, les pousse à entrevoir des stratégies migratoires plus risquées en tentant de contourner subtilement ou au péril de leur vie, les freins à la mobilité sociale ascensionnelle. Pour de nombreuses personnes migrantes « les conditions de vie et les perspectives d’emploi dans leurs pays d’origine ne permettent pas d’envisager un retour définitif et la fermeture (des frontières) leur interdit tout retour temporaire » (Lacroix, 2016 : 94). Dès lors, pour faire face aux freins juridiques, administratifs, au pouvoir discrétionnaire1 des instances de contrôle, aux contraintes dictées par le politique au niveau européen comme au fédéral, les familles mettent tout en place pour entrer dans les cadres d’octroi au séjour2, pour un ou plusieurs de ses membres. La capacité à se construire les conditions des possibles, par la mobilité sociale, par l’élaboration d’un récit de vie valable, ou encore par la reconstitution d’une nouvelle famille temporaire, permettra de devenir pourvoyeur de ses propres enfants, neveux ou nièces ou autres membres de la sphère familiale.
En s’inscrivant dans le sillon de l’anthropologie clinique3, l’enquête de terrain a permis de produire des données qualitatives qui permettent d’appréhender les récits de femmes et d’adolescentes comme étant à la fois singuliers, complexes et toujours inachevés. Le matériau ethnographique est également issu de l’observation participante, réalisée dans plusieurs structures institutionnelles et associatives afin de cerner les logiques et les choix qui sous-tendent l’accompagnement des familles dans les dédales des procédures souvent longues voire interminables pour les parents éloignés par l’exil4. Les entretiens biographiques individuels vont permettre de constituer, au gré des entrevues, des descriptions de contextes et de ressentis qui nous mèneront au plus près des imaginaires des personnes en s’efforçant de comprendre la diversité des trajectoires d’exil. La démarche permet d’appréhender le discernement des politiques migratoires et des pratiques institutionnelles, et passe aussi par l’expérience subjective des personnes concernées par le regroupement familial. L’enquête a aussi permis de cerner davantage l’évolution des adolescentes confrontées au travail de l’exil, fait de deuil et de déracinement, et à l’évolution de leur propre système de parenté, car « l’exil implique un remaniement identificatoire profond du sujet expatrié et jette hors de l’espace humanisant qui garantit la filiation » (Tourn, 1997 : 14). Le regard qu’elles portent chacune sur leur situation familiale entre séparation physique, souvent longue, et évolution des relations familiales à distance, n’est pas fait d’invariants mais de transactions et de perceptions intimes à chaque individu, car traversées par des imaginaires uniques.
Ce chapitre vise ici à produire de la connaissance à partir de rencontres et de récits de femmes ayant vécu un regroupement familial. Il s’agit de femmes (mères) et d’adolescentes – se regroupant ou regroupées – qui témoignent de leurs parcours et de leurs expériences intimes. Elles se sont exprimées dans le cadre d’une confiance gagnée au gré des entretiens et des confidences. Leurs vérités permettent d’appréhender les ressources dont elles font preuve pour s’ajuster aux transformations relationnelles et culturelles, en innovant pour retrouver une place, un rôle. Au-delà des routes entravées de l’exil, mes interlocutrices témoignent, au travers de leurs parcours, d’évidentes facultés d’adaptation et de résilience dans l’épreuve. Elles ont toutes été accompagnées à un moment de la procédure du regroupement familial par une association du secteur de « l’aide à la jeunesse » ou par une institution proposant une aide psycho-sociale à Bruxelles. Les constats issus de cette étude ne prétendent pas saisir l’exhaustivité des « expériences migratoires » de milliers de femmes et de leurs familles en Europe, mais il s’agit de donner à comprendre le sujet, à partir des paroles de migrantes qui ont vécu un regroupement familial. En confiant leurs récits, les femmes s’emparent légitimement de leurs propres histoires et nous permettent de mieux saisir le sens de leurs décisions, et leurs places dans la migration de leurs familles.
Les conditions de mère à l’épreuve des déplacements
Malinka a quitté Abidjan en juin 2012. Depuis 2013, elle est accompagnée par Sylvie, psychologue et intervenante sociale dans un service d’aide pour adolescents à Bruxelles. Malinka prend régulièrement rendez-vous avec Sylvie qui tente de répondre à des demandes souvent très pragmatiques : activités extra-scolaires pour les enfants, cours d’alphabétisation, prise de contact avec un service social… La maman exprime peu ses ressentis, elle ne souhaite pas les aborder : « chez les blancs, quand un problème est dans la tête, on prend un psychologue, moi, je crois au destin. Je me dis, au fond de moi, que c’est mon destin ». Ses référents culturels et spirituels lui permettent de concevoir les évènements de sa vie comme étant le fruit de la fatalité, inscrits comme les alinéas d’une histoire : la sienne. En Belgique, au sein de la communauté ivoirienne, elle dit ne pas demander « leurs histoires » : « je n’aime pas parler de ces choses-là ». Mon interlocutrice m’expose cependant, sans détours, les raisons qui lui ont permis de réfléchir et motiver son exil :
Dans ma famille, on est musulman. Ma maman est décédée depuis plusieurs années et je vivais avec mon père et mon frère. Le père de mes enfants est catholique. Mon papa n’a jamais voulu que je me marie avec lui car il ne partageait pas notre religion. Chez nous, les filles n’ont pas le choix. Beaucoup souffrent des mariages forcés. Pour y échapper, beaucoup se tuent aussi. Les filles ne vont pas à l’école, les hommes eh bien, c’est aussi eux qui décident !
Malinka prend la décision de partir. L’occasion se présente ; le père de sa grande amie, musulman aussi, comprend sa situation et met tout en place pour la soutenir. Il interviendra matériellement et administrativement pour qu’elle puisse se procurer le billet du vol et un visa pour la Belgique. Ses deux garçons ont quatre et sept ans. Elle les confie à son frère qui est alors âgé de seize ans. Il s’en occupera dans l’annexe de la maison du grand-père, car celui-ci ne veut les reconnaître, ni les accepter. Il les sait à quelques mètres de lui mais refuse d’en prendre soin, ni même de les voir.
Malinka témoigne d’une réalité qui m’est confirmée par d’autres mères : l’inacceptation des rapports asymétriques qui codifient les alliances hommes-femmes, pères-filles, au sein de sa famille. Dans un premier temps, ces femmes partiront sans leurs enfants, car il était tout simplement impossible de les emmener. Elles ont fui le rapport qu’elles entretenaient à leur parenté, poussées – par un idéal d’émancipation – à quitter les violences symboliques devenues inadmissibles, mais avec l’intime conviction de pouvoir retrouver leur descendance au plus vite. Le regroupement familial est imaginé bien avant le départ du parent, il conditionne la décision et va mettre en jeu les ressources sociales de Malinka. Arrivée à destination, les procédures apparaissent bien plus contraignantes qu’elle ne les avait imaginées, par leur durée et par la difficulté à faire reconnaître ses propres enfants restés au pays comme étant les siens. De longs mois passent, les attestations à soumettre aux autorités, comme par exemple les actes de naissance ou de mariage, les preuves ADN sont difficiles à réunir. La suspicion déconcertante de certains fonctionnaires, représentants de l’autorité, rendent le témoignage bégayant et confus. Malinka sera rejointe par ses enfants après plus de trois années.
Réunir sa famille et vivre auprès de ses enfants relèvent d’une aspiration humaine ordinaire. Pourtant, des mères comme Malinka n’avaient imaginé devoir se confronter à une procédure aussi complexe pour réunir leurs proches. La famille s’envisage pour la plupart de mes interlocutrices comme un lieu structurant et rassurant, parfois même fondamental, lorsque l’on tient compte des systèmes d’entraide. Empêcher son fonctionnement n’est alors pas concevable pour elles. Le regroupement familial semble s’inscrire dans la durée et l’incertitude de voir aboutir la procédure. Les démarches permettant de l’envisager s’avèrent toujours plus alambiquées. En effet, les options politiques en France, en Belgique, et dans la plupart des pays européens, rendent plus contraignantes les conditions d’accès au territoire pour les enfants, parents ou conjoints. Les personnes consultées dans le cadre de l’enquête de terrain5 – fonctionnaires, chercheurs, travailleurs sociaux et mères en attente d’un regroupement familial – témoignent du caractère aléatoire des prises de décisions. Dans le cadre de dossiers similaires, les exigences de l’Office des étrangers s’avèrent bien souvent contradictoires. Aussi, les contrôles sociaux vont se focaliser davantage sur une nationalité soupçonnée de déjouer les règles administratives.
Les femmes interrogées – qui ont souvent dû se défaire de leurs enfants, le temps d’obtenir les autorisations – doivent parfois durant plusieurs années, composer avec l’absence de leurs proches, condition douloureuse lorsque cette absence se prolonge et lorsque les perspectives de se retrouver s’amenuisent. Plusieurs d’entre elles révèlent être sans nouvelles de leurs enfants, de leurs frères et sœurs ou de leurs conjoints. Les conflits militaires ou les migrations, dont la motivation est davantage économique, entraînent des déplacements désorganisés et des situations imprédictibles. Les personnes peuvent se retrouver immobilisées dans un camp du HCR, à un point frontière ou dans une situation qui les empêche de contacter leurs familles. Souvent, elles préfèrent taire, à leurs proches, leur situation de précarité et de honte de ne pas avoir trouvé de meilleure issue à leur exil. Elles interrompent la communication avec leurs époux, leurs enfants et parents, ou dissimulent leur situation de misère. Les familles se déchirent en migration. Les liens de confiance s’altèrent, les espoirs et les découragements s’enchevêtrent dans l’incertitude et l’attente.
Parfois aussi, leurs enfants doutent, à distance, des intentions de leurs mères lorsque celles-ci les ont quittés quelques années plus tôt en leur promettant des lendemains forcément meilleurs. Mais arrivés en Belgique, les situations qui devaient être temporaires perdurent. Pour nombre de ces mères, réunir leur famille semble bien souvent avoir été perçu comme un mythe – tel le mirage de l’Eldorado, qui soignerait tous les maux sociaux et économiques – tellement irréalisable à atteindre pour la majorité de ces exilées qui doivent continûment « redoubler d’inventivité et de capacité à saisir les opportunités » (Têtu-Delage, 2009 : 35). Pour ces femmes qui parviennent, après tant d’efforts, à bénéficier de la procédure de regroupement familial, et retrouvent enfin leurs enfants, le mythe de la famille unie et épanouie laisse rapidement place à la désillusion et aux regrets. Leurs enfants ne se sentent pas acteurs du projet, ils ont vécu sans l’affection de leurs mères et les liens ont évolué. Pour nombre d’entre eux, les non-dits et les frustrations réciproques sèment la confusion et creusent les tensions.
Violences de genre et alliances contraintes
Dans son village kosovar, Ardita vit avec sa mère et ses deux frères. Elle n’imagine en rien son devenir lorsque son père lui propose de la rejoindre en Belgique. Il entame une procédure de regroupement familial. Elle croit son avenir meilleur à Bruxelles mais déchantera rapidement. Comme de nombreuses autres jeunes filles, pour ses parents, elle est en âge de se marier. Arrivée en Belgique, pour qu’elle ne puisse fuir l’époux qu’elle ne souhaite pas, son père lui retire rapidement ses documents d’identité : « la famille n’a pas cessé de faire pression pour qu’elle se marie » (Elke, assistante sociale). Pourtant, malgré les violences essuyées et comme la majorité des jeunes ayant vécu une situation similaire, Ardita n’a jamais porté plainte. Elle ne souhaitait pas se retourner contre ses parents. Dix années plus tard, à vingt-sept ans, elle vit toujours à Bruxelles et « n’a toujours pas été régularisée. Elle est aujourd’hui sans papiers et sans droits » (Eva, éducatrice). Pour le sociologue Smaïn Laacher (2008 : 225) :
Les femmes étrangères et d’origine étrangère qui subissent des violences ne font pas appel, dans leur grande majorité à leur communauté d’origine pour s’en dégager. Elles sollicitent quand les conditions le permettent, un autrui qui, s’incarne majoritairement dans la figure du droit ou dans celle des institutions de protection.
En effet, Ester – juriste – témoigne de la nécessité de travailler avec un réseau de confiance, « c’est-à-dire une personne en particulier dans les services d’aide ou un médecin qui peut comprendre ». Construire un partenariat fiable permettra la discrétion et l’élaboration d’une stratégie juridique ajustée et qui puisse aboutir.
Faroudia n’a que quinze ans lorsque son père la fait quitter son Algérie natale pour le rejoindre à Bruxelles dans le cadre d’un regroupement familial. Arrivée dans sa nouvelle demeure, elle se rend rapidement à l’évidence : elle devra se marier avec un cousin qu’elle n’a jamais rencontré. Le mariage n’est, dans le cas de plusieurs adolescentes rencontrées, « pas seulement l’affaire des conjoints mais celle de l’ensemble de la configuration sociale » (Chouala, 2008 : 7) à laquelle elles appartiennent. Elle s’oppose aux diktats du père et sollicite de l’aide auprès d’une association du secteur de l’aide à la jeunesse. Elle sera par la suite orientée vers le Service d’Aide à la Jeunesse (SAJ) de Bruxelles où une médiation aura lieu avec son père et un délégué de l’administration. Mais la conciliation sera de courte durée, car son père reste fidèle à son projet : Faroudia sera mariée contre son gré en Algérie où les autorités n’ont pas voulu entendre ses plaintes et n’ont pas tenu compte de sa volonté. Les pratiques institutionnelles privilégiant la médiation avec la famille, font leurs preuves dans d’autres situations, mais paraissent inadaptées au contexte des mariages forcés.
Contraintes procédurales et réclusion
Sumaiya est tchétchène. Elle arrive à seize ans dans le cadre d’un regroupement familial. Au sein de sa famille et plus largement de la communauté présente à Bruxelles, les violences sont inouïes. Sa mère ne lui témoigne aucune affection et reste passive face à la brutalité de son mari. Les membres de la famille vivent chacun à leur échelle du stress post-traumatique. Un éloignement de la famille eût été judicieux, tout du moins pour un temps, mais comme pour de nombreuses jeunes filles, les cinq années de la procédure les maintiennent chevillées à leurs proches. Des clauses de protection existent – elles sont prévues par la loi du 15 décembre 19806, mais dans les faits, comme l’évoque une analyse de la Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers, « les obstacles à la mise en œuvre de ces clauses de protection restent nombreux »7 :
Dans ce cas de figure, il faut apporter les preuves des violences à l’Office des étrangers qui statuera alors sur base du dossier. Mais face à des violences aussi fermes, le temps est compté pour retirer la fille de son milieu. Elle peut alors se retrouver en difficulté de séjour. Quand il s’agit d’une femme battue qui doit quitter son mari rapidement, elle doit très vite trouver un travail pour maintenir ses droits, mais elles sont bien souvent traumatisées et pas en capacité d’assumer un emploi. La procédure du regroupement familial rend les femmes totalement dépendantes de leur conjoint. (Elke, assistante sociale)
Quasi-absentes de l’espace public, de nombreuses femmes et adolescentes restent peu consultées pour donner leurs opinions sur le monde dans lequel elles vivent. Ce constat est d’autant plus évident lorsqu’elles sont issues de milieux moins favorisés, souvent mises à l’écart du processus décisionnel. Au sein de la cellule familiale, plusieurs jeunes filles témoignent d’une certaine inégalité de traitement sur différents points dont les plus récurrents sont la gestion des tâches ménagères et l’autorisation de sortie. La « domination masculine » semble ici profondément inscrite comme une vérité immuable. Elles reprochent surtout aux frères d’être gardiens des traditions, de certains comportements qu’elles estiment être complètement dépassés :
Mais aborder les valeurs familiales est très souvent tabou pour ces jeunes filles. Les violences ont des effets importants sur l’estime qu’elles ont d’elles-mêmes car elles intègrent les discours. Mais malgré cela leur famille reste leur famille et elles ne se sentent pas toujours concernées par la violence familiale. (Carolina, formatrice)
Dans les familles où « l’ordre social est fondamentalement marqué par l’androcentrisme et le patriarcat » (Menthong, 2000 : 112), Séverine, travailleuse sociale, explique que « les mères ont peur de leur mari. L’homme décide et la femme doit supporter ». En donnant la parole aux femmes, l’enquête de terrain a rapidement laissé apparaître des situations conjugales complexes et multiples, certaines sont vécues à distance pendant d’innombrables années, pour les couples abîmés par l’exil. D’autres unions résultent par contre de la contrainte – dans le cas des mariages forcés – ou encore, elles s’opèrent librement, pour répondre aux impératifs socioéconomiques. Mais pour les parents rencontrés, la nécessité de « gagner ses papiers » demeure de toutes les motivations à la conjugalité, la prioritaire. Pour les personnes interviewées durant la recherche, la quête d’une nouvelle vie digne pour ouvrir la voie à l’exil de ses enfants est espérée, peu importe les sacrifices. S’extraire de la pauvreté et ouvrir les chances à une famille entière donnent lieu à des alliances inventives, moyens « obligés » – pour contourner les obstacles administratifs et procéduraux.
Une réalité demeure néanmoins, pour les femmes qui ont entamé une procédure de regroupement familial : les rapports des violences psychiques voire physiques semblent aller de pair avec la dépendance administrative à leur conjoint. Dans le couple, la personne sans titre de séjour – généralement la femme – se trouve bien souvent en situation de vulnérabilité et peut dans les faits, être victime de chantage ou de violence sans être en mesure de porter plainte, car elle pourrait être privée de liberté et expulsée vers son pays d’origine. Devoir dissimuler son identité et sa condition désespérante constitue une évidence pour la personne qui se trouve, aux yeux de la loi, en séjour irrégulier : plusieurs mères témoignent, au travers des récits, avoir dû taire leurs souffrances durant les cinq années que compte la procédure de regroupement familial. Comble pour elles, qui ont bien souvent « vécu de fortes dominations de genre dans leurs communautés d’origine […]. Elles sont venues en Europe en quête d’une protection de l’État […] » (Jamoulle, 2013 : 42), et se retrouvent sous le joug d’un homme peu scrupuleux. Ester, juriste dans un centre de formation soutenant des femmes violentées témoigne :
Pour beaucoup de femmes que j’accompagne, la liberté d’expression ou de choix ne veut rien dire. Les violences ont lieu au sein de la famille et de la communauté plus largement. Les jugements sont très présents et elles sont aussi souvent insultées. Ce n’est pas étonnant qu’elles se taisent, elles n’imaginent pas que de meilleures attentions à leur égard soient possibles. Elles manquent de réseau social et n’ont jamais été confrontées à la chose publique. (Sylvie, juriste)
Souffrances cachées et deuils complexes
La guerre a ravagé son village congolais lorsque Kimia avait l’âge de dix ans. Le mouvement de rébellion, l’Armée de Libération du Congo (ALC), de Jean-Pierre Bemba, se heurte à l’armée officielle congolaise. En quelques heures son existence a chaviré. Les membres de sa famille se sont séparés brutalement dans la fuite pour la vie, au son de cris et de tirs, dans une éruption de violences inégalables : « J’avais perdu les contacts avec toute ma famille. On a été séparés sans le vouloir, en pleine guerre. J’étais dans la rue avec d’autres enfants. On essayait de survivre ».
Kimia se retrouve alors au centre de rixes interethniques. Souffrant de la faim et de la soif, elle sera victime des pires sévices8, violentée, abusée sexuellement par les milices armées et par d’autres enfants enrôlés dans les conflits, elle a vécu ses souffrances dans un profond silence. À présent, Kimia m’explique : « j’aurais préféré perdre la vie plutôt que de la subir. J’ai vécu tant d’atrocités ». Pour les femmes en déplacement forcé dans le cadre de conflits armés ou encore sur les routes de l’exil, les violences sexuelles laissent des séquelles irrévocables :
Depuis douze ans, je vis des cauchemars. Par moment, c’est insupportable. L’année passée, j’ai commencé une dépression. Quand j’étais seule, j’entendais ma propre voix et des cris, j’entendais beaucoup de bruit et toujours des bruits de tirs et des impacts de balles. Je voyais des images qui apparaissaient en plein jour. C’était de plus en plus fort et violent, j’ai dû être hospitalisée.
Pour le sociologue Smaïn Laacher, les violences sont très largement sous-estimées parce qu’elles sont invisibles. Selon ses propos, la parole est barrée, pour longtemps, par la honte et la souillure. Les femmes, infiniment plus que les hommes, seront dorénavant sales et souillées, devenues impures au mariage ou pour une liaison publique ou légitime. Elles seront alors exclues par les autres communautés subsahariennes (entre autres) ; exclues par la société où elles séjournent durablement. Les conséquences symboliques et matérielles de cette mise à l’écart, explique l’expert en migrations, est la constitution de groupes de femmes souillées vivant entre elles et dépourvues de protections collectives. Autrement dit, dans la réalité quotidienne, ces femmes ne s’appartiennent plus mais sont perçues et désignées comme des femmes mises à disposition des autres (Laacher, 2012 : 133). Lorsque le soutien social est à ce point déficient, alors que l’expérience traumatique chez une même personne est renouvelée par de multiples évènements comme la violence des conflits armés, les abus sexuels répétés, le déni des familiers, le stress des dispositifs institutionnels…, les conséquences post-traumatiques « méritent » une attention particulièrement bienveillante.
Les violences subies sont insoutenables et manquent trop souvent d’être prises en compte même si, comme le souligne le psychiatre Jean-Claude Métraux, « les réfugiés ont souvent montré leurs capacités extraordinaires pour surmonter les persécutions, les pertes, le changement de milieu de vie, et de se remettre de l’adversité » (Métraux, 2004 : 25), ce qu’on nomme les capacités d’auto-guérison. Les soins psychiatriques ajustés à la personne et à son vécu font défaut ou demeurent insuffisants pour la majorité des demandeurs d’asile, malgré le suivi de qualité de médecins spécialistes et de psychologues disponibles et à l’écoute de ces expériences d’exil. Or, si l’on prend le cas de personnes qui ont vécu de graves violences comme la torture, cette abominable expérience « a instauré chez ceux qui l’ont subie un réflexe de méfiance vis-à-vis d’autrui »9, et de ce fait vis-à-vis des travailleurs sociaux avec lesquels la relation de confiance sera plus difficile à instaurer.
J’ai vécu beaucoup de violences de la part des adultes. Qu’il s’agisse de militaires et de civils, même des personnes qui travaillent dans les ONG. Alors, je ne pouvais plus croire en personne. J’en voulais tellement aux gens, je mettais tout le monde dans le même sac. Au Congo, on ne m’a pas aidé. Les enfants des rues sont considérés comme des sorciers, ils ne sont pas acceptés, ni accueillis par les adultes. J’ai vu beaucoup de morts, de viols sur les morts. Moi-même, j’ai souvent fait semblant d’être morte. À l’hôpital, les médecins et les infirmières n’ont pas trouvé les mots pour me dire ce qu’il se passait dans mon corps. J’aurais voulu qu’ils m’expliquent comme me l’avait fait Carine, dans le camp lorsque j’avais onze ans. Je me souviens encore de ce qu’elle m’a dit : « on va retirer l’enfant de ton ventre… ».
Comme des milliers des femmes migrantes, Kimia n’abordera plus ses douleurs avec d’autres personnes de sa communauté, contrainte de s’enfermer dans un mutisme. Plus tard, elle tentera de confier en substance ces violences pour en conclure : « quand les gens en savent trop de mon histoire, ils me regardent avec de la pitié. Je n’aime pas. Je n’accepte pas ». Elle aborde également son point de vue quant aux travailleurs sociaux qui l’ont accompagnée : « […] et puis, je n’en veux pas aux travailleurs sociaux, mais ils ne savent pas ce qu’il se passe dans nos têtes ». Kimia poursuit son témoignage :
Après plusieurs mois, je pense, je me suis retrouvée dans le camp pour réfugiés de Bunia. Il y avait beaucoup de violences aussi là-bas. De la part des militaires qui venaient pour abuser de nous. C’était très dangereux aussi.
En deux ans, Kimia change plusieurs fois de camps affrétés par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, de centres de transit et de centres improvisés tenus secrets. Les transferts d’enfants, d’un camp à l’autre, s’effectuent toujours de nuit, dans des camions de marchandises : « on devait toujours changer de nom et de prénom ». Dans sa migration, Kimia perd ses propres modèles d’identification, son exil vient briser, comme l’évoque Shmuel Trigano « la relation d’identité de l’individu avec son propre milieu » (Trigano, 2001 : 9).
[…] Un jour, on m’a dit que l’on avait peut-être retrouvé ma mère. Mais personne n’a voulu me dire où elle se trouvait. Puis j’ai dû faire une prise de sang et le temps est passé. On ne m’en a plus parlé. Je ne pouvais rien savoir.
Durant plusieurs semaines encore, Kimia vit ses blessures dans le plus grand des secrets. Mais qu’est-il advenu de sa mère, de ses frères et sœurs ? Elle vit ce sentiment étrange de « ne plus appartenir à aucun lieu, aucun temps, aucun amour » (Kristeva, 1988 : 32). L’origine perdue, l’enracinement impossible, la mémoire plongeante, le présent en suspens. Dans les différents campements et centres dans lesquels passera Kimia, des membres de la Croix Rouge10 prennent des photos. De nombreux clichés sont disposés sur les murs afin de reconnaître des membres des familles séparées par les évènements. La jeune fille reconnaît soudain sa maman. Et puis une nuit, entourée d’agitation, Kimia se réveille. Personne ne l’avait avertie :
On est venu me chercher et on m’a emmenée à l’aéroport. J’ai pris l’avion avec une dame. Elle m’a accompagnée jusqu’à l’aéroport de Bruxelles. Une fois arrivées, elle m’a laissée seule et m’a dit : on va venir te chercher. Ne t’inquiète pas ! Après quelques minutes deux dames sont arrivées.
L’une d’elles était sa mère. Sa maman vivait déjà en Belgique avec sa sœur depuis un an et demi. Comme d’autres mères que j’ai eu l’occasion de rencontrer, elle était sans nouvelles de plusieurs de ses enfants. Dans le monde, les conflits armés déchirent les familles11, les laissant esseulées et troublées pendant quelquefois plusieurs années. Aujourd’hui, Kimia vit en collocation avec plusieurs filles. Les hommes, elle ne pourra plus leur faire confiance. Ils lui ont transmis le poids de souffrances psychiques ineffaçables. En famille, la parole ne s’est jamais déliée : pas un mot de son histoire n’a été partagé. Elle n’a rien su de ses proches non plus. L’omerta est puissante au sein des familles traumatisées. À l’école, personne ne savait : « je gardais tout pour moi, mais j’en étais malade ». Les angoisses qui ne trouvent pas de réponses demeurent les plus violentes. À dix-huit ans, pour la première fois, Kimia se confie à sa grande amie. Mais celle-ci est désarçonnée, elle ne reçoit pas sa parole avec bienveillance et ne sait que répondre à Kimia. Deux ans plus tard, pour la dernière fois, elle referme la porte de l’appartement familial et s’en va, dans le plus grand silence.
Conclusion : Vulnérabilités et stratégies d’accès à la mobilité
De nombreuses femmes et jeunes filles, à défaut d’autres possibles migratoires leur permettant de se déplacer en toute sécurité, voient en l’introduction d’une procédure de regroupement familial l’unique alternative « sûre » pour quitter leur pays. Les politiques de fermeture des frontières et les dangers qu’elle impose ont, de ce fait, des effets en termes d’option de déplacement. Les blocages aux lignes frontalières génèrent de la dissuasion pour certaines des femmes rencontrées, or « en contexte de restrictions légales de migrations en direction de l’Europe, […] les familles se voient dans l’obligation d’inventer de nouvelles possibilités de migrer » (Mazzocchetti, 2014 : 25). Le regroupement familial en est une. Dans ce contexte, il est à noter que la prolifération des pratiques criminelles, comme par exemple celles de « passeurs », nées de ces freins à la mobilité, hantent les chemins d’exil. Les violences vécues durant les voyages se multiplient, les atteintes psychiques sont récurrentes pour la plupart des femmes rencontrées. Selon le sociologue Zygmunt Bauman, « la situation actuelle qui combine la suppression des visas d’entrée et le renforcement des contrôles d’immigration, a une signification hautement symbolique. Elle met en lumière le fait que c’est l’accès à la mobilité mondiale qui constitue aujourd’hui le premier des facteurs de stratification » (2010 : 134) entre les humains.
Les regroupements familiaux offrent un regard éclairant sur l’ampleur des familles désunies, des enfants éloignés de leurs mères, privés de sécurité affective et matérielle. Les couples et les alliances évoluent aussi dans un rapport à la géographie et aux métissages des cultures jusqu’alors méconnus. Les migrations transnationalisées bousculent les systèmes de parenté – bien que très différents d’une société à l’autre –, mais aussi les solidarités lignagères, et les formes de régulations dites traditionnelles de conflits. L’amplification des tensions sur la scène géopolitique, la perte d’accès aux besoins de première nécessité, et « l’émergence d’un sentiment de pauvreté » (Laurent, 2010 : 44) poussent chaque jour dans le monde plusieurs milliers de personnes, et de plus en plus de femmes, de jeunes filles ou de mères, à explorer de nouveaux horizons, à chercher la vie lorsque les possibles s’amenuisent.
Les femmes sont souvent exposées à des vulnérabilités psychiques multiples qui trouvent quelquefois leurs sources bien en amont de leur expérience migratoire. Pour comprendre, les professionnels de la santé mentale indiquent la nécessité d’appréhender l’histoire de chaque personne dans son contexte culturel et social mais aussi dans les dynamiques propres aux familles en ne se concentrant pas exclusivement sur les conséquences des déracinements successifs et des violences militaires ou administratives. En revanche, tous demeurent unanimes lorsqu’il s’agit d’évoquer les conséquences inhérentes aux ruptures de liens entre les membres des familles, souffrances qui accentuent d’emblée les traumatismes antérieurs. L’inquiétude d’une mère confrontée à l’espoir de revoir son enfant peut prendre des proportions importantes quand la communication est rompue, en situation de conflits armés, ou encore parce que la famille à distance ne collabore pas. L’exil familial est fait de regrets, de culpabilité et d’ambivalence lorsque le lien familial est suspendu à un fil. Aussi les mères rencontrées témoignent de ces années qui passent. Les situations transitoires se prolongent encore et encore car les routes migratoires s’avèrent toujours plus infranchissables. Les demandes d’asile demeurent alambiquées, la procédure de regroupement familial n’aboutit pas. Des enfants n’entrent plus dans les conditions d’âge (minorité) pour pouvoir en bénéficier, des êtres aimés décèdent sans adieux. La distance géographique empêche les deuils et plongent mes interlocutrices dans la confusion. Quelquefois, les souffrances oubliées dans les recoins de la psyché ressurgissent en symptômes incompris. De nombreuses mères et adolescentes formulent des troubles psychiques liés à ces séparations. L’insécurité occasionnée par l’absence des proches peut fragiliser et leur ôter des repères structurants essentiels à leur équilibre. Mais leurs confidences dévoilent leurs ressources intimes – qui rendent réalisable la migration – et leur capacité à mobiliser des savoirs métisses, pluriculturels, qui transforment les hors-lieux de l’exil en terres d’avenir pour leur famille. Sur les routes intrépides de l’exil, et chaque jour davantage, des milliers de femmes et jeunes filles s’inventent de nouveaux « possibles » et lendemains qui chantent.
Bibliographie
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1Les travaux d’Alexis Spire (2008) sont, à ce sujet, éclairants. Il conceptualise « la politique des guichets », comme étant la mise en place d’une « politique de trompe l’œil : d’un côté, les gouvernements adoptent des lois répressives qui respectent en apparence les droits fondamentaux mais, de l’autre, ils délèguent aux fractions subalternes de l’administration le soin de rendre ces droits inopérants […]. Les discours qui accompagnent ces nouvelles réformes peuvent ainsi garder l’apparence de l’équilibre “sévère et digne”, “ferme et humaine”, tout en dissimulant les conséquences concrètes de leur mise en œuvre ». Mais ces derniers mois en Belgique, sous le gouvernement du Premier ministre Charles Michel, les options politiques – plus sécuritaires comme les discours – davantage connotés d’amalgames à l’attention des personnes sans droits de séjours ou plus globalement des migrants, évoluent vers davantage d’intentions et de mesures coercitives. Le secrétaire d’État à l’immigration, Théo Franken, comme sa prédécesseur Maggie De Block, ne dissimule pas son souhait de légiférer en défaveur des personnes en situations d’illégalité administrative, en augmentant par exemple la capacité d’hébergement dans les centres fermés ou en organisant davantage d’expulsions de personnes.
2Les titres de séjour, en Belgique, peuvent prendre la forme des documents suivants : Carte A : « certificat d’inscription au registre des étrangers – séjour temporaire » ; Carte B : « certificat d’inscription au registre des étrangers » ; Carte C : « carte d’identité d’étranger » ; Carte D : « permis de séjour de résident de longue durée – CE » ; Carte F : « carte de séjour de membre de la famille d’un citoyen de l’Union » ; Carte F+ : « carte de séjour permanent de membre de la famille d’un citoyen de l’Union » ; Carte H : « carte bleue européenne ». Voir à ce sujet les statistiques sur les cartes et documents de séjour délivrés dans le cadre du regroupement familial, 2010-2015 (https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Documents/Statistiques).
3L’anthropologie clinique « met en relation, d’un côté, une pensée sur l’homme (anthropologie) et, de l’autre, le monde de la clinique, de la pratique des soins auprès de l’homme souffrant » (Duruz, 2008 : 1).
4L’enquête de terrain a été réalisée en 2015 et 2016 à l’initiative et avec le soutien du CEMO, un service d’aide à la jeunesse situé à Bruxelles. La recherche a donné lieu à l’ouvrage suivant : L’expérience de l’exil au travers du regroupement familial. Mythes, procédures et déracinements (Briké, 2017).
5Il s’agit d’une recherche mandatée par le Centre d’Éducation en Milieu Ouvert[5] (CEMO) situé à Bruxelles et réalisée en 2015 et 2016. Le CEMO est une association qui propose une aide généraliste aux jeunes et aux familles en difficulté.
6En Belgique, chaque procédure de regroupement familial est soumise à la réglementation contenue dans la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers. Chaque demande est introduite « sur la base des articles 10 et 10bis de la loi du 15 décembre 1980, lorsque la personne qui ouvre ce droit, le regroupant, est ressortissant d’un pays tiers, alors que les articles 40bis et 40ter de la loi du 15 décembre 1980 concernent les regroupants citoyens européens (40bis) ou de nationalité belge (40ter) ».
7L’analyse, réalisée en 2013,n’est référencée sous aucun non d’auteur, et s’intitule « Migrant(e)s victimes de violences conjugales ou intrafamiliales dans le cadre du regroupement familial ».
8Dans ce contexte, l’exploitation et la traite des humains sont extrêmement favorisées, tant à cause des besoins nouveaux liés aux contraintes du conflit, qu’en raison de l’impunité qu’il instaure (Guinamard, 2015).
9Il s’agit de propos exprimés par Claude Bietry, kinésithérapeute au centre Primo Lévi, dans l’article « Le massage redonne confiance aux corps torturés » (Roques, 2005).
10« Le Service Tracing/Rétablissement des Liens Familiaux (RLF) vise au rétablissement et au maintien des liens familiaux en cas de perte de contact suite à un conflit armé, une catastrophe naturelle ou toute autre situation humanitaire ».
11L’association « Cri du Cœur d’Une Mère qui Espère » créée par Béatrice Mukamulindwa (Louvain-la-Neuve, Belgique) soutient aujourd’hui encore les parents qui sont à la recherche de leur(s) enfant(s) depuis le génocide de 1994 au Rwanda.